by Dominic Perugino
in Philosophie
22 Déc 2020
Un temps des fêtes hors du commun est à l’horizon, et il semble que l’année de la pandémie est une année où l’on prend conscience des petites choses de la vie qui faisaient tout notre bonheur, mais que nous prenions peut-être pour acquis. Devrons-nous nous rassembler virtuellement ? Le fait que l’idée même nous irrite montre combien nous avons besoin de contacts humains.
La pandémie… Assez ! C’est le temps des fêtes, c’est bientôt Noël ! Il s’agit d’une célébration d’une bonne nouvelle, quelque chose de positif ! Il s’agit de la naissance du messie d’Israël, né pour sauver le monde, pour nous sortir de notre misère, tant par sa vie que par son message. Il s’agit d’un message tellement puissant, que même beaucoup parmi ceux qui ont délaissé la pratique religieuse se réservent un temps pour la messe de minuit, question qu’on leur raconte une fois de plus cette histoire fascinante d’un bébé roi, né dans une mangeoire au milieu d’animaux de la ferme. Même les endroits aux allégeances les plus séculières, comme les centres commerciaux, démontrent un zèle acharné pour présenter un sapin de Noël luxurieux rempli de symboles qui renvoient à la nativité. Le sapin ! Mais pourquoi un sapin ?
Le sapin est à la fois méconnu pour son importance historique et médicale, particulièrement au Canada. On ignore comment il a sauvé des vies, on ignore même comment le reconnaître ! Un sapin devant chez vous que vous voulez décorer pour l’occasion de Noël, vraiment ? Et s’il s’agissait d’une épinette, sauriez-vous faire la différence ? Faisons un survol de notre culture du sapin. Non, pas la culture en pépinière ! Notre culture… comment notre culture a-t-elle intégré cet arbre majestueux pour en faire un symbole religieux ? Que peut nous apprendre notre histoire ? Comment reconnaître un sapin ? Quel usage en faire et où le planter ?
Tout d’abord, un peu d’histoire. Sans le sapin, une bonne partie de la colonisation de la Nouvelle-France serait tombée à l’eau. En effet, les voyages en bateaux, si glorieux pour l’histoire de la découverte de l’Amérique, ont un côté bien sinistre. C’est le scorbut. L’équipage des vaisseaux navals n’avaient pas les moyens de voyager avec de la viande, des fruits et des légumes frais. Vers la fin d’un voyage au beau milieu de l’océan, les carences en nutrition laissent apparaître les conséquences d’un régime sans vitamine C. La vitamine C, que l’on appelle aussi acide ascorbique, tient son deuxième nom justement de sa propriété d’empêcher le scorbut. Une équipe de matelots bien infectée devait être difficile à regarder : les tissus de connexion des muscles fondent, les gencives saignent, la fatigue s’empare de tout le monde… bref, rien pour aider un explorateur.
On raconte qu’en 1536, Jacques Cartier perd près de 80 % de son équipage à cause du scorbut. Mais, des iroquois connaissaient les propriétés thérapeutiques de nombreux conifères et leur concoctèrent une tisane. Bien que ce fut probablement le thuya qui fut employé pour l’infusion partagée entre les deux peuples, plusieurs conifères, dont le sapin, sont riches en acide ascorbique. Il s’en fut de plusieurs années pour que la concoction devienne d’usage populaire, les mauvaises habitudes étant difficiles à abandonner. Quoi qu’il en soit, la gomme de sapin et autres produits dérivés des conifères ont fait leur chemin sur les tablettes des apothicaires d’alors, et dans les boutiques de produits naturels et les pharmacies d’aujourd’hui. On les utilise entre autres pour traiter les blessures, diminuer les sécrétions de mucus, de même que soulager les infections et les inflammations.
Un sapin, vraiment ?
Dans notre métier d’arboriste, il n’est pas rare de voir se confondre bien des conifères avec des sapins. L’erreur la plus commune est l’épinette. À vrai dire, l’épinette fait un très bel arbre de Noël ! Il est conique comme le sapin, mais il est beaucoup plus dense, laissant moins de place pour les décorations. La manière la plus facile de décorer une épinette est avec les lumières et les guirlandes, car il n’y a pas beaucoup de trous à remplir avec les ornements. La meilleure façon de distinguer l’épinette du sapin est en observant les aiguilles. Le sapin a des aiguilles organisées comme les poils sur une plume, en deux rangées bien égales et douces. Les aiguilles du sapin sont aussi aplaties et tendres. En revanche, un bout de branche d’une épinette ne ressemble en rien à une plume d’oiseau, on dirait plutôt le dos d’un porc-épique, et pas seulement en apparence. En effet, les aiguilles de l’épinette font le tour de la branche, sont coniques et non aplaties, mais surtout, elles font mal lorsqu’on les sert dans la main. Alors qu’au contraire, on peut faire filer une branche de sapin dans sa main pour faire ressortir son parfum, sans aucune douleur. Du reste, le sapin est plus clairsemé et plus délicat qu’une épinette. Dans la grande région de Montréal, nos épinettes sont surtout bleues, ce qui permet de les distinguer des sapins baumier qui sont verts.
On peut faire la même erreur avec les mélèzes et les pruches. Pour ce qui est de décorer un mélèze en hiver, il s’agit d’un piètre choix. Celui-ci est le seul conifère à perdre ses épines à l’automne ! Rendu là, on pourrait aussi décorer nos érables et nos chênes pour l’hiver… et pourquoi pas ! Mais bon, on privilégie les conifères parce qu’ils gardent leurs feuilles l’hiver et ce n’est pas le cas du mélèze. Pour la pruche, elle conserve ses aiguilles comme tous les autres conifères. Ses aiguilles sont aplaties comme celles d’un sapin, mais celles-ci sont disposées aléatoirement sur la branche, plutôt que d’être alignées en plume comme le sapin. À vrai dire, il s’agit d’un arbre parfait pour un ornement de Noël, il est clairsemé et laisse beaucoup de place pour la décoration.
Le bon conifère au bon endroit
Peu importe le conifère que vous choisirez, n’oubliez pas de choisir le bon arbre pour le bon endroit. Il existe toutes sortes de cultures d’arbres différents, de toutes les couleurs, de toutes les formes et toutes les dimensions pour tous les goûts. En présence de lignes électriques, optez pour un arbre aux dimensions plus petites, ou plantez-le à la distance appropriée. Les conifères font de la gomme, collés contre votre stationnement, vos véhicules deviendront assurément collants.
Noël, pourquoi un sapin ?
Certes, on n’a pas à se poser dix questions pour comprendre pourquoi une crèche. Il s’agit d’une mise en scène de la naissance de Jésus. Mais pourquoi un arbre décoré avec des boules, des lumières et des guirlandes ? Quel est le rapport ?
Comme on peut s’en douter, la pratique n’a pas son origine dans le christianisme directement. Le sapin de Noël nous aurait été transmis par les peuples scandinaves qui l’utilisaient dans leurs festivités religieuses pré-chrétiennes. L’arbre étant symbole de vitalité, on avait l’habitude de le décorer à l’occasion de telle ou telle cérémonie importante, probablement avec des fruits (remplacés aujourd’hui par des boules), des fleurs et des guirlandes. Suite à la conversion au christianisme, comme il arrive presque toujours, on conserve des éléments de culture auxquels on donne une nouvelle signification. Ainsi, en Estonie et en Lettonie médiévales, les premiers protestants germaniques ont adopté la coutume d’introduire un conifère dans leur foyer et de le décorer, mais en transformant la signification et l’usage. Il serait même possible que le réformateur allemand Luther lui-même aille adopter cette tradition. En effet, la coutume est longtemps plus protestante que catholique, ces derniers refuseront de l’intégrer jusqu’à la fin 20e siècle, où un sapin de Noël sera finalement introduit dans le Vatican.
Les traditions changent et les symboles se font transformer parfois de leur sens original. Il semble que ce soit naturel pour les nations d’interagir différemment avec les symboles à mesure que leur expérience et leurs croyances changent. Par exemple, on sait que l’étoile au sommet du sapin représente l’étoile de Bethléem qui a guidé les rois mages vers l’enfant Jésus. Or, en Russie, sous l’effet révolutionnaire du 20e siècle, on place le sapin comme symbole du nouvel an, et non plus de la nativité. Puis, l’étoile ne symbolise plus, pendant la période révolutionnaire, Bethléem, mais le socialisme. Une telle transformation est délibérée et n’est pas l’effet d’un mûrissement naturel. Pourtant, nos sociétés occidentales aussi transforment ces symboles, mais en quoi ?
Noël en 2020
La sécularisation rend muette toute référence au spirituel, et on sent fortement la perte du sens original de nos symboles. Ici se trouve toute la différence entre la transformation du sens et la perte de sens. La transformation serait de nous demander en quoi le message de Noël s’adresse à nous, en quoi il est pertinent pour nous. C’est d’interpréter pour nous-mêmes, se raconter l’histoire à nous-mêmes, dans notre contexte. Présentement, la perte équivaut à l’effacement. On nous encourage à utiliser des expressions comme « temps des fêtes » ou « joyeux décembre », car on se convainc que ce silence du mot « Noël » est plus inclusif à l’égard de ceux pour qui Noël ne fait pas partie de leur tradition. Pourtant, pour l’inclusion dans la pluralité des cultures et des sens, il me semble que l’effacement de soi ne fait que perpétuer la solitude. Dire « joyeux Noël » à une personne dont la culture ignore tout de Noël est le plus grand signe d’inclusion et d’amour ! C’est une invitation, c’est dire à l’autre : je t’inclus, peu importe tes appartenances, cette fête, ces symboles et surtout, ce message de paix et de joie, s’adresse à toi dans toute ta différence.
Sur ce, Arboplus tient à souhaiter à tous, un joyeux Noël rempli de paix en ces temps anxieux.
Dominic Perugino
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